L’abus de faiblesse est une infraction pénale sérieuse visant à protéger les personnes vulnérables contre la manipulation et l’exploitation. Prévue principalement par l’article 223-15-2 du Code pénal, cette infraction se distingue par le fait que son auteur profite de la vulnérabilité d’une personne pour l’inciter à commettre un acte ou une abstention qui lui cause un préjudice grave. L’abus de faiblesse engendre un vice du consentement de la victime.
À ne pas confondre avec l‘abus de confiance, qui concerne le détournement frauduleux d’un bien ou d’une somme d’argent préalablement confiés par la victime. Alors que l’abus de confiance nécessite une remise volontaire initiale, l’abus de faiblesse repose sur la vulnérabilité apparente de la victime et peut survenir sans qu’aucun bien n’ait été confié.
Qu’est-ce que l’abus de faiblesse ?
Il s’agit pour une personne d’abuser frauduleusement de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’autrui pour l’amener à poser un acte ou une abstention qui lui est gravement préjudiciable. Cet acte ou cette abstention est contraire à l’intérêt de la victime.
L’abus de faiblesse est un délit puni sur le plan pénal et civil. Il peut être abordé sous l’angle du Code pénal ou, dans un contexte commercial, sous l’angle du Code de la consommation. Dans le cadre commercial, il consiste à solliciter un consommateur vulnérable ou ignorant pour lui faire souscrire un contrat, souvent lors d’un démarchage à domicile ou par téléphone.
Les éléments constitutifs de l’infraction
Pour qu’une infraction d’abus de faiblesse soit caractérisée, trois éléments principaux doivent être réunis :
La Vulnérabilité de la Victime
La victime doit présenter une vulnérabilité objective, apparente et connue de l’auteur des faits.
Cette vulnérabilité peut résulter de diverses situations :
- Un âge avancé, potentiellement associé à une perte d’autonomie. Cependant, l’âge seul ne suffit pas ; il faut des preuves concrètes de l’altération des capacités de la victime. La Cour de cassation a notamment rappelé que la vulnérabilité exige la preuve d’un état de sujétion psychologique ou physique induit par des pressions ou manœuvres altérant le discernement.
- Une maladie physique ou psychique, y compris des troubles cognitifs. De même, la maladie seule n’est pas suffisante pour prouver la vulnérabilité sans signes clairs d’incapacité.
- Une infirmité, une déficience physique ou psychique, un handicap mental ou un état de grossesse.
- Un état dépressif durable ou momentané.
- Un état de sujétion psychologique ou physique, dû à des pressions graves ou répétées, ou à des techniques perturbant le jugement (comme dans le cadre de sectes par exemple), qui altèrent la liberté de consentement. L’état de sujétion peut aussi être créé par les membres d’un groupement poursuivant des activités visant à exploiter cette sujétion.
- Un état d’ignorance rendant la personne incapable d’apprécier la portée de ses engagements ou de déceler les ruses.
- La vulnérabilité peut aussi être momentanée en raison de circonstances particulières, comme une situation d’urgence.
- Dans un contexte commercial, la faiblesse ou l’ignorance doit préexister à la sollicitation du vendeur et être connue du cocontractant.
- La Cour de cassation a rappelé qu’en l’absence de certitude sur l’état de vulnérabilité, l’abus de faiblesse ne peut être retenu.
L’Abus commis par l’auteur des faits
L’auteur doit tirer parti de cette vulnérabilité pour influencer la victime de manière abusive. Cela implique que l’auteur ait eu connaissance de l’état de faiblesse ou d’ignorance et la volonté d’exploiter cet état.
- L’abus peut prendre différentes formes :
- Pression psychologique, manipulation, mensonge.
- Utilisation de techniques propres à altérer le jugement de la victime.
- Exploitation de la situation de faiblesse pour obtenir un gain, financier ou matériel.
- Exercer des pressions graves et répétées pour manipuler la victime.
- Employer des ruses ou artifices pour convaincre.
- Si les décisions prises par la victime l’ont été de manière libre et éclairée, il n’y a pas d’abus. La preuve de la délivrance d’une information complète et précise peut-être un élément clé de la défense.
- Dans un contexte commercial, l’abus doit avoir été réalisé dans le but de faire souscrire des engagements, au comptant ou à crédit, dans certaines circonstances comme le démarchage à domicile ou par téléphone, des réunions organisées, ou dans des lieux non destinés à la commercialisation.
Un acte ou une abstention gravement préjudiciable
L’acte commis ou l’abstention doit être gravement préjudiciable pour la victime. L’adverbe « gravement » implique un seuil de gravité élevé.
Il peut s’agir de :
- Transferts financiers importants et inhabituels (virements, chèques, retraits) sans réelle contrepartie.
- Cessions de biens (vente d’une maison à un prix très inférieur à sa valeur réelle).
- Signature d’engagements ou de contrats inutiles.
- Décisions médicales contraires aux intérêts de la victime (refus de soins nécessaires à la survie suite à des pressions).
- Disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l’a obligée à cette disposition. La Cour de cassation a souligné qu’un acte de disposition comme un testament en faveur de l’exploiteur constitue un préjudice grave révélateur de l’abus.
- La souscription d’une assurance-vie ou la modification de sa clause bénéficiaire au profit de l’auteur des faits.
L’acte préjudiciable peut être tant matériel que juridique.
Il n’est pas nécessaire que le préjudice soit réalisé, il suffit que l’acte soit de nature à causer un préjudice grave.
L’abus de faiblesse s’apprécie au regard de l’état de vulnérabilité au moment où est accompli l’acte gravement préjudiciable.
Sanctions Encourues
L’abus de faiblesse est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Des circonstances aggravantes existent :
- Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant d’un groupement sectaire, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
- Lorsque l’infraction est commise par l’utilisation d’un service de communication en ligne ou un support numérique, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
- Lorsque l’infraction est commise en bande organisée (notamment par les membres d’un groupement sectaire), les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. Cette aggravation par la loi de 2023 traduit une volonté de renforcer la lutte contre ce délit dans un cadre structuré.
Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel dans un contexte commercial.
Des peines complémentaires peuvent être prononcées, notamment :
- L’interdiction des droits civiques, civils et de famille.
- L’interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, pour une durée de 5 ans au plus.
- L’affichage de la décision judiciaire.
- La fermeture d’établissement.
Les personnes morales déclarées pénalement responsables encourent également une amende et d’autres peines. Le complice de l’abus de faiblesse est punissable et risque la même peine que l’auteur.
Enfin, lorsqu’un contrat est reconnu comme conclu à la suite d’un abus de faiblesse, il est nul et de nul effet.
Différences avec des infractions voisines
L’abus de faiblesse ne doit pas être confondu avec :
- L’abus de confiance : il s’agit de détourner les biens ou fonds confiés par la victime.
- L’escroquerie : l’auteur obtient un bien ou un service par une tromperie ou des manœuvres frauduleuses.
- Les pratiques commerciales agressives : lorsque les conditions de l’abus de faiblesse ne sont pas réunies, un comportement commercial insistant ou contraint peut être qualifié de pratique commerciale agressive, même à l’encontre d’un consommateur moyen non nécessairement en état de faiblesse.
Prouver un abus de faiblesse
Prouver un abus de faiblesse nécessite la réunion de plusieurs éléments : un élément matériel (la vulnérabilité de la victime et l’acte préjudiciable), un élément intentionnel (la volonté de l’auteur d’abuser en ayant conscience de l’état de la victime et du caractère préjudiciable de l’acte).
La démonstration de la vulnérabilité de la victime est essentielle. Comme vu précédemment, l’âge ou la maladie seule ne suffisent pas ; il faut des preuves concrètes (expertises médicales ou psychiatriques, témoignages, documents) démontrant une altération des capacités ou un état de sujétion.
L’élément intentionnel, c’est-à-dire l’intention frauduleuse, doit être prouvé. Il peut être déduit des circonstances entourant les faits, par exemple, le mode opératoire de l’auteur (modification de clause bénéficiaire d’assurance-vie quelques jours avant décès, non-respect des formalités, acte réalisé au domicile en l’absence de tiers).
Dénoncer un abus de faiblesse : Une procédure complexe
L’inconvénient majeur pour dénoncer l’abus de faiblesse réside souvent dans le fait que c’est la victime qui doit porter plainte. Or, la victime n’est pas nécessairement consciente d’être abusée, ce qui rend la procédure particulièrement difficile.
Toutefois, il est possible de porter plainte même si la victime ne s’estime pas lésée, comme l’a souligné la Cour de cassation.
Le délai de prescription pour porter plainte est de trois ans à compter du moment du prélèvement du patrimoine. En cas d’actes répétés, le délai de six ans court à compter du dernier acte commis.
L’utilité de l’avocat
La complexité de l’infraction d’abus de faiblesse réside dans la nécessité de démontrer avec rigueur la vulnérabilité de la victime, l’abus de l’auteur (son intention d’exploiter cet état), et le préjudice grave. Chaque dossier est unique et requiert une analyse factuelle détaillée.
Faire accompagner par un avocat apparaît certainement comme une nécessité. Un avocat peut :
- Aider à analyser les faits et les preuves pour déterminer si les éléments constitutifs de l’abus de faiblesse sont réunis.
- Conseiller sur les démarches à suivre pour prouver la vulnérabilité (recours à des expertises médicales/psychiatriques, examen des témoignages et documents).
- Assister la victime ou ses proches dans la procédure complexe de dénonciation et de dépôt de plainte.
- Constituer un dossier solide pour étayer l’accusation ou la demande de dommages-intérêts.
- Représenter la victime devant les tribunaux pour obtenir la condamnation de l’auteur et la nullité des actes préjudiciables.
- Dans le cadre d’une défense contre une accusation, un avocat peut aider à contester la vulnérabilité, l’absence d’abus ou de manipulation, ou l’absence de préjudice grave.
En résumé, l’abus de faiblesse est un délit complexe visant à protéger les personnes vulnérables. Sa caractérisation nécessite la preuve de la vulnérabilité, de l’abus intentionnel et d’un préjudice grave. Compte tenu de la difficulté à prouver ces éléments et à engager la procédure, notamment lorsque la victime n’est pas consciente de l’abus, le recours à un avocat est fortement recommandé pour naviguer ce domaine juridique délicat. Des avocats spécialisés en droit des successions, par exemple, peuvent être particulièrement utiles dans les affaires liées à l’héritage.